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2  S4 et logiques non monotones

2.1  Syntaxe

Les formules de S4 sont toutes les formules construites à partir de variables propositionnelles à l'aide des connecteurs propositionnels usuels Ù, Ú, ¬, Þ, et la modalité  : si F est une formule, alors F est une formule aussi (``box F'', ou ``nécessairement, F''; en termes temporels, ``dans tout futur, F''). Nous supposons que a une priorité plus forte que tous les autres opérateurs logiques, de sorte que AÞ A est une abréviation de (A)Þ A, par exemple. Nous définissons aussi à F comme une abréviation de ¬¬ F (``possiblement, A''; en termes temporels, ``à un moment dans un futur, A'').

En plus des règles de preuve de la logique classique, en S4 nous ajoutons les axiomes suivants : pour toutes formules F et F', et en plus de la règle de modus ponens (MP) rule, nous avons la règle de nécessitation : Les axiomes (K) et (T) sont communs à la plupart des logiques modales. L'axiome (K) dit que si FÞF' et F sont nécessaires (ou vraies dans tout futur), alors F' est nécessaire (ou vraie dans tout futur, dans l'interprétation temporelle). L'axiome (T) et la règle (Nec) ont été commentées au début de ce chapitre.

L'ensemble des axiomes (K) et (T) est aussi appelé (S). La logique S4 est en fait nommée d'après ses axiomes, et est aussi parfois appelée KT4.

Ce qui fait de S4 une logique particulière est principalement l'axiome (4). Dans l'interprétation de comme un opérateur de futur, (4) exprime la transitivité du temps, c'est-à-dire que si F est vraie dans tous les futurs, alors elle est aussi vraie dans tous les futurs de tous ces futurs.

Comme nous l'avons remarqué précédemment, les systèmes de Hilbert ne sont pas faciles à manipuler, et nous allons voir la sémantique de S4 en section 2.3, et des systèmes de séquents en section 2.5.



2.2  Logique philosophique et logiques non monotones

Il existe une multitude d'autres logiques modales venant de la communauté de logique philosophique. Toutes ont la règle (Nec); la plupart sont fondées sur l'axiome (K), et sont alors appelées logiques modales normales. Certaines utilisent l'axiome (T). D'autres axiomes utilisés pour définir des logiques modales sont : (T) est parfois nommé (M), (5) parfois (E) (pour ``euclidien''), et (R) est parfois appelé (W5).

Nous n'examinerons pas ce que les diverses combinaisons de ces axiomes signifient : voir le livre de Chellas.

Dans toute logique modale L, on peut définir une notion de déduction |-L : si G est un ensemble de formules, et F est une formule, G|-LF si et seulement si F peut être déduite de l'ensemble d'hypothèses G et des axiomes de L en utilisant uniquement les règles (MP) et (Nec). Mais, comme nous l'avons déjà dit, le théorème de la déduction n'est pas valide dans les logiques modales, autrement dit F1, ..., Fn |-L F n'est pas équivalent à |-L F1 Þ ... Þ Fn Þ F (bien que ce dernier implique le premier).

Cette définition de la déductibilité est adaptée de celle de Rajeev Goré [Gor91], et est appelée déductibilité forte. La déductibilité faible est la relation |-L définie par G |-L F si et seulement s'il existe un sous-ensemble fini {F1, ..., Fn} de G tel que |-L F1 Þ ... Þ FnÞ F. (Remarquer que, de façon paradoxale, la déductibilité faible implique la déductibilité forte, mais pas l'inverse.)

Les déductibilités faible et forte coïncident lorsque l'ensemble d'hypothèses G est vide, et une formule F telle que |-LF (autrement dit, |-LF) est appelée un théorème de L.

Un des grands intérêts des logiques modales est que la déductibilité forte plus un certain processus de complétion forment l'essence des logiques non monotones, qu'elles soient modales ou non. En traduisant Rajeev Goré [Gor91] :
Les logiques modales propositionnelles sont depuis quelque temps utilisées pour modéliser des notions épistémiques comme la connaissance et la croyance, où la formule A se lit ``on croit que A'' ou ``on sait A''. Étant donnée une logique modale S (monotone) et un ensemble de formules G, la formule A est une conséquence monotone de G dans S si elle est déductible dans S à partir de G, ce que l'on écrit usuellement G |-S A. L'ensemble G est habituellement appelé une théorie et les conséquences monotones de G dans S sont les formules déductibles de G dans S; c'est-à-dire CnS(G) = {A| G |-S A}. Le système est ``monotone'' en ce sens que si A est dans CnS(G), alors elle sera dans CnS(G') pour tout sur-ensemble G' de G.

Pour obtenir la non-monotonie nous faisons l'hypothèse que ¬A (``on ne sait pas A'') s'il n'y a pas de déduction de A dans S à partir de G et des hypothèses précédentes. Plus formellement, la théorie T est une S-expansion de la théorie G si elle satisfait l'équation T = CnS(G ÈA | A Ï T}). Comme T apparaît sur le côté droit, la définition est circulaire, et conséquemment, une théorie G peut avoir zéro, une ou plusieurs S-expansions. Pour contre-balancer ce phénomène, l'ensemble des conséquences non monotones de G dans S est usuellement défini comme l'intersection de toutes les S-expansions de G. Le nouveau système est ``non-monotone'' parce que, bien que A puisse être une conséquence non monotone de G, elle peut ne pas être une conséquence non monotone d'un sur-ensemble de G.
L'intérêt porté aux logiques non monotones apparaît lorsqu'on cherche à capturer la notion de raisonnement de tous les jours, où des conclusions par défaut sont obtenues à partir d'informations incomplètes, pour être éventuellement rétractées lors de l'apparition de contre-exemples. La circonscription de John McCarthy a été la première tentative de formalisation du raisonnement de tous les jours, suivie par la logique des cas par défaut de Reiter (default logic) et de la logique auto-épistémique de Halpern et Moses. Marek, Schwarz et Truszczynski ont ensuite remarqué que la logique auto-épistémique n'était rien d'autre que K45D non monotone, et que S4F généralisait aussi bien la logique des cas pas défaut que la logique auto-épistémique.



2.3  Sémantique de Kripke

La sémantique des logiques modales comme S4 sont usuellement décrites au moyen d'interprétations en termes de mondes possibles (possible worlds interpretations). En effet, une formule n'est pas juste vraie dans une interprétation, mais aussi dans un certain état, par exemple à un instant donné. Nous représentons l'ensemble de tous les états (par exemple, de tous les instants) par un univers W non vide, dont les points, les états, sont appelés les mondes. Dans le cas de S4, les mondes sont partiellement ordonnés : si w et w' sont des mondes (des instants), w£ w' signifie que w est un instant qui est avant w'. Alors une formule F est vraie dans un monde w si et seulement si F est vraie dans tous les mondes qui le suivent (à tous les instants ultérieurs).

La définition se généralise à toutes les logiques modales de la façon suivante, due à Saul Kripke in 1963 :


Définition 1  Un cadre de Kripke (Kripke frame) est un couple (W,R), où W est un ensemble non vide appelé l'univers et R est une relation binaire sur W appelée la relation d'accessibilité. Les éléments de W sont appelés les mondes.

Une
affectation ou interprétation r est une fonction des variables propositionnelles vers les ensembles de mondes. La sémantique d'une formule modale F est définie par la fonction à valeurs booléennes [F] w r, où w est un monde et r est une affectation. Nous notons w, r |=F pour [F] w r = T, et définissons : Lorsque w,r|=F, nous disons que w,r satisfait F.

Un cadre de Kripke est
satisfait par F, ou est un modèle de F si et seulement si w, r |=F pour un certain monde w et une certaine affectation r. F est valide dans le cadre donné si et seulement si w, r |= F pour tout monde w et toute affectation r.

Si
C est une classe de cadres, nous disons que F est valide dans C, ce que nous notons C|=F, si et seulement si F est valide dans tout cadre de la classe.
Remarquer que, si l'on regarde R comme un ensemble de couples, un cadre de Kripke (W,R) n'est rien d'autre qu'un graphe orienté de sommets les éléments de W et d'arcs les éléments de R.

Il s'avère qu'une formule de S4 est un théorème si et seulement si elle est valide dans la classe des ensembles pré-ordonnés, c'est-à-dire des cadres (W,R) tels que R est une relation réflexive et transitive sur W. Si l'on voit les cadres comme des graphes, ceci signifie que les théorèmes de S4 sont en fait des théorèmes portant sur l'ensemble des chemins dans les collections de graphes orientés acycliques (en fait, les arbres suffisent). Plus précisément :


Définition 2  Soit C une classe de cadres, et L une logique modale.

L est correcte pour C si et seulement si pour toute formule F, |-LF implique C |=F.

L est complète par rapport à C si et seulement si pour toute formule F, C |=F implique |-LF.


On caractérise les cadres par les propriétés de leur relation d'accessibilité R : elles peuvent être réflexives, symétriques, transitives, séquentielles (``serial'' en anglais : depuis chaque monde il existe un monde accessible), convergentes (pour tout monde w, si w1 et w2 sont accessibles depuis w, alors il y a un monde accessible depuis w1 et w2 à la fois).

Alors, dans le cas de S4 :


Théorème 3  [Correction, Complétude]   S4 est correcte et complète par rapport à la classe des cadres réflexifs et transitifs.
Preuve : Que S4 soit correcte pour les cadres réflexifs et transitifs est clair. Pour prouver la complétude, et au lieu de montrer que |= F implique |-S4 F (ou de façon équivalente, |-S4F), nous allons supposer que non |-S4 F, et montrer que non |=F. Choisissons une formule F représentant le faux, c'est-à-dire une formule qui implique toutes les autres prouvablement. Appelons un ensemble de formules G cohérent s'il n'est pas le cas que G |-S4 F. (De façon équivalente, tel que F n'est pas faiblement déductible de G.) Si non |-S4 F, alors ¬F est cohérent. En effet, si nous avions ¬F|-S4F, alors nous aurions |-S4 ¬ F Þ F, donc |-S4F par raisonnement classique (c'est-à-dire sans utiliser aucune règle et aucun axiome modaux).

Nous construisons maintenant un modèle de ¬F (un cadre et une interprétation tels que ¬F soit vraie en un certain monde). Définissons pour cela le cadre de Kripke (W,£), où W est l'ensemble de tous les ensembles cohérents maximaux de propositions de S4, et où w£ w' si et seulement si pout toute formule de la forme F' dans w, F' est dans w'. Définissons enfin l'interprétation r par : pour chaque variable A, r(A) est l'ensemble des mondes w tels que AÎ w.

En premier, faisons quelques remarques sur les ensembles cohérents maximaux w. Comme w est cohérent, il ne peut pas contenir à la fois F et ¬ F, pour aucune formule F. Mais pour toute formule F, w doit contenir soit F soit ¬ F. En effet, supposons que w ne contienne ni F ni ¬ F. Alors wÈ {F} et wÈF} sont tous les deux incohérents par maximalité de w, donc il existe un ensemble fini de formules F1, ..., Fn dans wÈ{F} tel que |-S4 F1 Þ ... Þ Fn Þ F, et de même il existe un ensemble fini de formules F'1, ..., F'n' dans wÈF} tel que |-S4 F'1 Þ ... Þ F'n' Þ F. Sans perte de généralité, supposons que F fait partie des Fi (sinon nous l'y ajoutons), et en fait que F = Fn, et de même nous pouvons supposer que ¬ F = F'n'. Nous pouvons aussi supposer, en ajoutant suffisamment de formules à chacun de ces deux ensembles, que les ensembles {F1, ..., Fn-1} et {F'1, ..., F'n'-1} coïncident. Alors on a |-S4 F1 Þ ... Þ Fn-1 Þ F Þ F et |-S4 F1 Þ ... Þ Fn-1 Þ ¬ F Þ F, donc |-S4 F1 Þ ... Þ Fn-1 Þ (FÚ ¬ F) Þ F, mais ceci revient à dire que |-S4 F1 Þ ... Þ Fn-1 Þ F. De plus F1, ..., Fn-1 sont toutes dans w, donc w est incohérent, ce qui est contradictoire. Donc w doit contenir soit F soit ¬ F. Observer aussi que tout ensemble cohérent maximal est stable par déduction faible : si w est un ensemble cohérent maximal tel que w|-S4 F, et si ¬ F était dans w, nous pourrions déduire F de w en déduisant d'abord F, et en utilisant ¬ F ensuite. Donc ¬ F Ï w, donc F Î w.

Enfin, nous faisons la remarque que tout ensemble cohérent est inclus dans un ensemble cohérent maximal. Pour le montrer, nous utilisons le lemme de Zorn (une autre forme de l'axiome du choix), qui énonce que tout ensemble ordonné inductif S a un élément maximal. Rappelons qu'un ensemble est inductif si et seulement si tout sous-ensemble totalement ordonné a une borne supérieure. Dans notre cas, soit S l'ensemble de tous les ensembles cohérents de formules, ordonnés par inclusion. Étant donné un ensemble totalement ordonné d'ensemble cohérents Ci, iÎ I, soit C = ÈiÎ I Ci. C est cohérent, car sinon il existerait un nombre fini de formules F1, ..., Fn dans C telles que |-S4 F1 Þ ... Þ Fn Þ F. Chaque Fi est dans un certain Ci, et comme les Ci sont totalement ordonnés, il existe un Ci contenant toutes les formules F1, ..., Fn; mais alors Ci serait incohérent, ce qui est contradictoire. Donc S est inductif et par le lemme de Zorn, on peut compléter tout ensemble cohérent pour obtenir un ensemble cohérent maximal. Nous affirmons en premier que (W,£) est un cadre réflexif et transitif, c'est-à-dire que £ est un pré-ordre. Il est en effet réflexif, parce que pour tout F'Î w, F' is faiblement déductible de F' par modus ponens avec (T); comme tout ensemble cohérent maximal est clos par déductibilité faible, F'Î w. La relation £ est aussi transitive : si w1£ w2£ w3, alors pour toute formule F'Î w1, F'Î w1 par (4), donc F'Î w2 puisque w1£ w2, donc F'Î w3 vu que w2£ w3; ceci entraîne w1£ w3.

Nous affirmons en second que pour toute formule F', w,r|=F' si et seulement si F'Î w. Nous le montrons par récurrence structurelle sur F' : Finalement, comme ¬F est cohérent, on peut compléter {¬ F} pour former un ensemble cohérent maximal w, et par définition de W, £ et r, ceci implique que w,r |= ¬F. ¤

Ce théorème signifie que F est prouvable en S4 si et seulement si elle est vraie dans tout cadre dont la relation d'accessibilité est un pré-ordre. En fait, on peut se restreindre aux cadres où la relation d'accessbilité est un ordre, c'est-à-dire où elle est aussi anti-symétrique. (C'est parce que les modèles définis par filtration ci-dessous seront anti-symétriques.)

Bien que nous n'ayons prouvé le théorème que pour S4, des théorèmes analogues peuvent être prouvés pour les autres logiques. Par exemple, KD est correct et complet pour tous les cadres séquentiels, S pour les cadres réflexifs, K4 pour les cadres transitifs, S5 pour toutes les relations d'équivalence (réflexives, symétriques, transitives), et S4.2 pour tous les pré-ordres convergents. La preuve est exactement la même que ci-dessus. En particulier, nous construisons la relation d'accessibilité £ en disant que w£ w' si et seulement si pour toute formule Y dans w, Y est dans w'. La seule différence est que £ sera quelque chose d'autre : une relation séquentielle pour KD, une relation réflexive pour S, etc.



2.4  Décidabilité

Pour nous aider à montrer qu'une logique modale L est décidable, définissons une relation d'équivalence sur les mondes (une relation d'indistingabilité) et le quotient des cadres par cette relation. Cette définition est justifiée par la construction du théorème 7.


Définition 4  [Filtration]  Soit F une formule de L, et r une affectation. Soit S(F) l'ensemble des sous-formules de F.

La
relation d'indistingabilité ºF, r sur un cadre (W,R) est définie par wºF, r w' si et seulement si pour toute formule F'Î S(F), w,r|=F' si et seulement si w',r|=F'.

La
filtration de (W,R) par S(F),r est le cadre (W/Fr, R/Fr), où W/Fr est le quotient de W par ºF, r et si v, v' sont deux éléments de W/Fr, alors v(R/Fr) v' si et seulement s'il existe wÎ v, w'Î v' tels que w R w'.

Soit
wF,r la classe de w modulo ºF, r, et soit rF l'affectation dans (W/Fr, R/Fr) qui envoie chaque variable A vers le quotient r(A)/Fr = {wF,r | wÎr(A)}.


La relation ºF est en effet une relation d'équivalence sur les mondes. La filtration préserve les modèles :


Lemme 5   Pour toute sous-formule F' de F, (W,R,r) |= F' si et seulement si (W/Fr, R/Fr, rF) |= F'.
Preuve : Nous affirmons que : (1) si vÎ W/Fr, alors v,rF|=F' si et seulement si l'une des deux conditions équivalentes suivantes est vérifiée :
  1. il y a un wÎ W tel que v=wF,r et w,r|=F';
  2. pour tout wÎ W tel que v=wF,r, alors w,r|=F'.
Ces conditions sont équivalentes; en effet, 2 implique 1 parce que les classes d'équivalence sont non vides, et 1 implique 2 parce que les mondes d'une même classe d'équivalence sont indistingables et parce que F' est une sous-formule de F. L'affirmation (1) est alors montrée par récurrence structurelle sur F'. En guise d'illustration, traitons le cas où F' est de la forme F''. Si v, rF|= F'', alors pour tout v' tel que v(R/Fr)v', v', rF |=F'' est vrai; donc, pour tout wÎ v, pour tout w' tel que w R w', w'/Fr, rF|=F'' par définition de R/Fr; par hypothèse de récurrence, w',r|=F'' pour tous ces w', donc w, r |= F''. Réciproquement, si pour tout wÎ v, w, r |= F'', alors pour tout w' tel que w R w', w', r |=F''; donc pour tout v' tel que v(R/Fr)v', il y a un wÎ v et un w'Î v' tels que w R w', d'où w', r |=F'', et par hypothèse de récurrence, v', rF |=F''; comme v' est arbitraire, il s'ensuit que v, rhoF |=F''. ¤

De plus, la filtration préserve la plupart des propriétés du modèle :


Lemme 6   Si (W,R) est réflexif (resp. symétrique, séquentiel), alors (W/Fr, R/Fr) est réflexif (resp. symétrique, séquentiel).
Preuve : Si (W,R) est réflexif, alors pour tout vÎ W/Fr, il existe un monde wÎ v, et w R w par hypothèse, donc v(R/Fr)v par définition.

Si (W,R) est symétrique, et v(R/Fr)v', alors il existe w,w'Î W tels que w R w', donc wR w par symétrie, et donc v'(R/Fr)v.

Si (W,R) est séquentiel, alors pour tout vÎ W/Fr, il y a un w dans v, et aussi un w'Î W tel que w R w' par hypothèse, donc v(R/Fr)w'/Fr, et (W/Fr,R/Fr) est séquentiel. ¤

Cependant, quand (W,R) est transitif, (W/Fr, R/Fr) ne l'est pas nécessairement. En effet, si v(R/ Fr)v' et v'(R/ Fr)v'', alors il existe des mondes w, w'1, w'2, w'' tels que w R w'1 et w'2 R  w'', mais on ne peut rien en conclure, car il n'y a pas nécessairement de relation entre w'1 et w'2. De même, quand (W,R) est convergent, (W/Fr, R/Fr) n'est pas nécessairement convergent. Nous réglerons ce problème bientôt.

Finalement, la filtration est suffisamment petite :


Théorème 7  [Petit modèle]   Soit F une formule de taille n. Le cardinal de W/Fr est inférieur ou égal à 2n.
Preuve : Pour tout F'Î S(F), soit f0(F') = {wÎ W| w,r |= F'}, et f1(F') = {wÎ W| non w,r |= F'}.

Maintenant, soient F1, ..., Fn les n sous-formules de F, et soit s1, ..., sn une suite arbitraire d'éléments de {0,1}. Alors Çi=1n fsi(Fi) est une classe d'équivalence modulo ºF,r, c'est-à-dire un élément de W/Fr.

Réciproquement, toute classe d'équivalence est déterminée par la valeur booléenne (vrai si si=0, faux si si=1) de toutes les sous-formules Fi, 1£ i£ n, de F. Autrement dit toutes les classes d'équivalence sont de la forme Çi=1n fsi(Fi) pour une certaine suite s1, ..., sn.

Il y a donc au plus autant de mondes dans W/Fr qu'il n'y a de suites de longueur n sur {0,1}, soit au plus 2n. ¤

Ceci établit la propriété dite de petit modèle pour toutes les logiques pour lesquelles (W/Fr, R/Fr, rF) est un modèle de F dès que (W,R,r) en est un. Ceci fonctionne pour toute combinaison de réflexivité, de symétrie et de séquentialité.

Lorsque les modèles sont transitifs, (W/Fr, R/Fr, rF) peut ne pas être un modèle de F du tout bien que (W,R,r) en soit un. Dans ce cas, nous remplaçons le lemme 5 par :


Lemme 8   Supposons R transitive.

Pour toute sous-formule
F' de F, (W,R,r) |= F' si et seulement si (W/Fr, (R/Fr)+, rF)|=F', où (R/Fr)+ est la clôture transitive de R/Fr.
Preuve : Comme pour le lemme 5. ¤

Quand R est transitive, donc, si (W,R,r) est un modèle de F, alors (W/Fr, (R/Fr)+, rF) est un autre modèle de F, qui est clairement petit (fini). Une technique analogue fonctionne pour les cadres de Kripke convergents (resp. convergents et transitifs).

Ce qui fait que la propriété de petit modèle est utile est :


Théorème 9  [Décidabilité]  Soit L une logique modale ayant la propriété de petit modèle. Alors la validité des formules F de L est décidable.
Preuve : Soit n la taille de F, et supposons que la taille d'un petit modèle pour F est majorée par f(n). (Nous avions f(n)=O(2n) plus haut.) Énumérons tous les graphes ayant au plus f(n) sommets et qui sont dans la classe C. Pour ce faire, nous énumérons tous les graphes ayant exactement m sommets, pour tout 1£ m£ f(n) : il suffit d'énumérer tous les graphes sur {1,...,m}, et il y en a au plus 2m2. Sur un graphe à m sommets, il y a au plus 2nm affectations possibles (associant chaque variable et monde à un booléen disant si le variable est vrai à ce monde ou non), et nous vérifions chaque affectation en temps O(nm) (calculant la valeur de vérité de chaque sous-formule en chaque monde, en partant des formules atomiques et en remontant dans F). En somme, le temps d'exécution est majoré par O(Sm=1f(n) 2m2. 2nm. nm) £ nf(n)2. 2f(n)2+nf(n). ¤

Ceci est le cas, comme nous l'avons vu, des classes de cadres satisfaisant n'importe quelle combinaison de réflexivité, de symétrie, de transitivité, de séquentialité et de convergence.

2.5  Systèmes de séquents et tableaux

Melvin Fitting [Fit83] a été l'un des premiers logiciens à s'intéresser aux systèmes de preuve pour les logiques modales. Il s'avère que la plupart des méthodes de preuve connues pour la logique classique ne s'adaptent pas au logiques modales. Cependant, les méthodes de tableaux, à savoir les systèmes de séquents de Gentzen sans coupures, ont beaucoup de succès dans ce domaine. (Pour une autre méthode, voir [Ohl93].)

Mais l'élimination des coupures ou la propriété de sous-formule échoue dans certaines logiques modales. S4R [Gor91], par exemple, a un système de séquents sans coupures, mais qui n'a pas la propriété de sous-formule : on peut avoir besoin de sous-formules non seulement de F, mais aussi de F pendant la recherche de preuve. Ce n'est pas trop grave, puisque la décidabilité est conservée. Des logiques comme S4.2 et S4F ont des systèmes de Gentzen qui non seulement n'ont pas la propriété de sous-formule (on doit considérer toutes les sous-formules de ¬F), mais exigent aussi des règles dites de coupures analytiques. Cette forme spéciale de la règle Cut est telle que la formule de coupure (celle qui disparaît dans la conclusion de Cut) est toujours une sous-formule directe de l'une des formules dans la conclusion de la règle Cut, ce qui limite l'explosion de l'espace de recherche; la décidabilité est encore préservée, mais à un prix élevé.

Examinons quelques exemples concrets. Un système de séquents dérivé de ce que Goré propose pour S4 est LK0 sans Cut plus les règles :



où, si G est un ensemble de formules, G est l'ensemble {Y|YÎG}.

Interprétons ces règles comme des règles de tableaux. Supposons que nous soyons sur un chemin non clos. Les formules de type a et b s'expansent comme dans le cas classique. Mais si nous décidons d'expanser une formule de la forme +F, nous devons le faire en la remplaçant sur le chemin courant par +F, et nous devons aussi masquer toutes les formules négatives -Y telles que Y n'est pas de la forme Y', ainsi que toutes les formules positives sauf F (règle (S4)). Et, si nous souhaitons expanser une formule de la forme -F, nous devons le faire en ajoutant -F sur le chemin. (La contraction implicite à gauche des séquents dans la règle (T) n'est pas éliminable.)

Remarquer que, contrairement à la logique classique, nous ne pouvons pas choisir de décomposer n'importe quelle formule arbitraire sur le chemin : si nous décomposons une formule +F en utilisant (S4), nous ne pourrons plus accéder aux formules de G' ou D, et il faudra que nous rebroussions chemin (``backtrack'' en anglais), que nous choisissions une autre formule à décomposer si la première n'a mené à rien. À cause de règles comme (S4), les tableaux pour les logiques modales ne sont pas aussi simples que dans le cas classique.

D'autres logiques modales ont des systèmes de séquents beaucoup plus compliqués que S4, pourtant. Par exemple, voici une variante du système de Goré pour S4.2. En plus des règles de LK0 (sans Cut), des règles (T) et (S4) ci-dessus, nous incluons :



où (...)* est appelée une formule marquée, et la règle est restreinte au cas où F n'est pas marquée dans la conclusion. (Les marques sont juste des annotations sur des occurrences de formules, et ne participent pas de la structure de la formule; leur rôle est de détecter les bouclages, c'est-à-dire les situations où une même règle devrait être appliquée deux fois à la même formule.) Pour trouver une preuve en S4.2, lorsque nous en arrivons à expanser une formule de la forme +F, nous avons le choix entre appliquer la règle (S4) ou la règle (K45); cette dernière enrichit le chemin courant, et produit deux chemins sur lesquels (S4) produira des séquents plus riches en information.

Mais la règle (S4.2) ne suffit pas à trouver toutes les preuves, et nous devons ajouter les règles de coupures analytiques suivantes :



ainsi que les règles correspondantes pour Ú et les autres conncteurs. (Goré n'utilise que ¬, Ù et comme connecteurs de base.) Ces règles rajoute beaucoup de non-déterminisme et de branchement dans la recherche de preuve : trouver des preuves dans ces logiques n'est pas facile.




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