1 Une tentative presque réussie
Nous pouvons voir tout séquent F1, ..., Fm ¾® G1,
..., Gn comme un ensemble -F1, ..., -Fm, +G1, ...,
+Gn de formules signées (une branche de tableaux). Nous
dirons qu'une branche -F1, ..., -Fm, +G1, ..., +Gn est
cohérente si et seulement si le séquent correspondant
F1, ..., Fm ¾® G1, ..., Gn est improuvable. Ceci
signifie que l'on peut supposer que toutes les formules négatives
sont vraies et toutes les formules positives sont fausses, sans que le
système de déduction puisse en déduire le faux (le séquent
vide).
En général, nous allons considérer des branches B infinies.
Nous dirons alors que B est cohérente si et seulement si toute
sous-branche finie est cohérente.
Nous observons d'abord que :
Lemme 1
Pour toute branche cohérente B, il existe une branche
cohérente maximale B¥ contenant B.
Preuve : C'est une application du lemme de Zorn (une variante de l'axiome du
choix) : tout ensemble ordonné inductif a un élément maximal.
Rappelons qu'un ensemble ordonné (E, £) est dit inductif si
et seulement si toute famille totalement ordonnée (xi)iÎ
I d'éléments de E a un majorant. La famille
(xi)iÎ I est totalement ordonnée si et seulement si pour
tous i, j Î I, xi £ xj ou xj £ xi. Un élément
maximal d'un ensemble est un élément de l'ensemble qui est
³ à tous les éléments de l'ensemble.
Considérons l'ensemble E de toutes les branches cohérentes
contenant B, ordonné par l'inclusion. Si (Bi)iÎ I est
une famille totalement ordonnée d'éléments de E,
considérons B' = ÈiÎ I Bi. B' est clairement un
majorant des Bi, et nous prétendons que B' est dans E,
c'est-à-dire que toute sous-branche finie B'' de B' est
cohérente. Or B'' étant finie, est incluse dans une union
finie des Bi et donc dans l'un des Bi, puisque la famille est
totalement ordonnée. Mais Bi étant cohérente, et B''
étant une sous-branche de Bi, B'' est nécessairement
cohérente. Comme B'' est une sous-branche arbitraire de B',
B' est cohérente. Il ne reste qu'à appliquer le lemme de
Zorn, et à choisir pour B¥ un élément maximal
quelconque de E.
¤
Les branches cohérentes maximales ont des propriétés
remarquables :
Lemme 2
Pour toute branche cohérente maximale B, pour toute formule F,
soit +F soit -F est dans B.
Preuve : Clairement, +F et -F ne peuvent pas être toutes les deux dans
B, sinon B ne serait pas cohérente. Réciproquement,
supposons que ni +F ni -F ne soit dans B. Comme B est
maximale, ceci signifie que B È {+F} et B È {-F} sont
toutes les deux incohérentes. Donc il existe des sous-ensembles
finis B1 et B2 de B È {+F} et B È {-F}
respectivement, qui, vus comme des séquents, sont prouvables. On
peut sans perte de généralité supposer que +F Î B1 et -F
Î B2, car l'affaiblissement est admissible en LK. Posons alors
B'1 = B1 \ {+F}, B'2 = B2 \ {-F}. Par
une application de la règle de coupure sur F, on en déduit une
preuve de B'1 È B'2. Mais par construction B'1 et B'2
sont des sous-ensembles de B, donc B'1 È B'2 aussi : nous
venons de démontrer que B était incohérent, ce qui est
impossible par hypothèse. Donc +F ou -F doit appartenir à
B.
¤
Lemme 3
Pour toute branche cohérente maximale B :
- si a est une formule comme suit dans B, alors l'une
des formules signées correspondantes a1 ou a2
est aussi dans S :
- si b est une formule comme suit dans B, alors les
formules signées correspondantes b1 et b2 sont
aussi dans B :
- si g est une formule comme suit dans B, alors pour
tout terme t, la formule correspondante g1 (t) est dans
S :
Preuve : a : si + (F1 Ù F2) est dans B, mais que ni +F1
ni +F2 ne sont dans B, alors par le
lemme 2, -F1 et -F2 sont dans B.
Mais la sous-branche -F1, -F2, +(F1 Ù F2) est
incohérente, puisqu'on a la preuve :

Ceci implique que B elle-même est incohérente, ce qui est
absurde.
Les autres cas de règles a se démontrent de façon
similaire, en utilisant les règles ÚL, ÞL, ¬R et
¬L respectivement.
b : de même, en utilisant les règles ÙL, ÚR,
ÞR.
g : supposons que +$ x · F1 soit dans B mais
pas +F1 [t/x], où t est un terme quelconque donné. Par le
lemme 2, -F1 [t/x] est dans B, mais ceci
est contredit par le fait que l'on peut prouver :

De même pour -" x· F1, en utilisant "L.
¤
Nous aimerions bien avoir aussi la propriété :
- 4. si d est une formule comme suit dans B, alors il
existe un terme t tel que la formule correspondante d1 (t)
soit dans B :
La preuve serait : supposons que +" x · F1 soit dans B,
mais que +F1 [t/x] ne soit pas dans B pour aucun terme t. En
particulier, +F1 [y/x] n'est pas dans B, où y est une
variable non libre dans " x · F1; donc -F1 [y/x] est
dans B par le lemme 2. Un raisonnement
(trop) rapide permettrait de contredire la cohérence de B,
observant que l'on peut dériver :

Mais cet argument ne fonctionne pas, parce que pour appliquer
"R, il faudrait que y ne soit pas libre dans le F1 [y/x]
du côté gauche, ce qui est en général impossible.
Ignorons le problème pour l'instant, et définissons :
Définition 4
Une branche B est appelée saturée si et seulement si
elle vérifie les propriétés 1.--4.
Lemme 5
On dit que I, r falsifie +F si et seulement si non
I, r |= F; I, r falsifie -F si et seulement si I,
r |= F. I, r falsifie un ensemble de formules
signées B si et seulement si I, r falsifie tous les
éléments de B. On dit alors que (I, r) est un contre-modèle de B.
Soit B une branche maximale cohérente, et supposons B
saturée. Alors B a un contre-modèle.
Preuve : Définissons le comme un modèle à la Herbrand. Le domaine D
de l'interprétation est l'ensemble de tous les termes, et pour
chaque symbole de fonction f d'arité n, l'interprétation I
(f) est la fonction qui aux termes t1, ..., tn associe le
terme f (t1, ..., tn).
Pour chaque symbole de prédicat P d'arité n, posons I (P)
la fonction qui à t1, ..., tn associe vrai si et
seulement si -P (t1, ..., tn) est dans B. Notons que : (a)
pour toute affectation r (qui est en même temps une
substitution), pour tout terme t, [t] I r = t r.
C'est une récurrence facile sur t.
Soit enfin r l'affectation qui à toute variable x associe
le terme x dans D. Notons que, pour toute formule atomique A,
on a I, r |= A si et seulement si -A Î B : en effet,
soit A = P (t1, ..., tn), alors I, r |= A si et
seulement si -P ([t1] I r, ..., [tn] I r) Î
B, c'est-à-dire, en utilisant (a), si et seulement si -P (t1,
..., tn) Î B, autrement dit si et seulement si -A Î B.
Nous montrons que I, r falsifie toute formule signée ± F
de B, par récurrence structurelle sur F. Si F est une
formule atomique A, c'est par construction : si -A est dans B,
alors par définition I, r |= A; et si +A est dans B,
alors non I, r |= A, car sinon -A serait aussi dans B,
ce qui contredirait la cohérence de B.
Si ± F est une formule a, par exemple + (F1 Ù
F2), alors comme la branche est saturée, +F1 ou +F2 est
aussi dans B, donc par hypothèse de récurrence I, r
falsifie +F1 ou +F2. Dans chaque cas, I, r doit donc
falsifier + (F1 Ù F2). Le raisonnement est similaire dans
le cas des autres formules a, ainsi que pour les formules
b.
Si ± F est une formule g, par exemple +$ x ·
F1, alors parce que la branche est saturée, pour tout terme t,
+F1 [t/x] est dans B. Par hypothèse de récurrence, I,
r falsifie +F1 [t/x]; mais si on avait I, r |=
$ x · F1, alors il existerait une valeur pour x
rendant F1 vraie dans I, r. Une telle valeur est par
définition un terme t, et donc on aurait I, r |= F1
[t/x], ce qui est impossible. Donc I, r falsifie +$ x
· F1. Le cas de -" x · F1 est similaire.
Si ± F est une formule d, par exemple +" x ·
F1, alors puisque la branche est saturée, il existe un terme t
tel que +F1 [t/x] soit dans B. Par hypothèse de
récurrence, I, r falsifie F1 [t/x]; mais si on avait I,
r |= " x · F1, alors en particulier I, r
[t/x] |= F1, et donc I, r |= F1 [t/x]. Donc I,
r falsifie +" x · F1. Le cas de -$ x ·
F1 est similaire.
¤
Nous en déduisons immédiatement :
Théorème 6
Supposons que toute branche cohérente finie B soit incluse dans
une branche cohérente maximale B¥ qui est saturée.
Alors LK est complet : tout séquent valide est prouvable.
Preuve : Soit B un séquent, vu comme une branche finie, et supposons par
l'absurde que B ne soit pas prouvable, autrement dit que B soit
cohérente. Par hypothèse, il existe une branche cohérente
maximale B¥ contenant B, et qui est saturée. Par le
lemme 5, B¥ a un contre-modèle,
donc B aussi, ce qui contredit la validité de B.
¤
Mais comme toute branche cohérente maximale n'est pas
nécessairement saturée (la propriété 4. peut échouer), la
construction d'une branche B¥ comme au
lemme 1 ne suffit pas pour garantir que B¥
soit saturée.